La vie de Deburau.
Enfance – Débuts à Paris – Le succès – Dernier acte.
Le coup de Canne « assassin » de Jean-Gaspard.
Jean-Charles Deburau, son fils.
Le Théâtre des Funambules - Boulevard du Crime.
« Deburau… Le plus grand comédien de notre époque… acteur sans parole et presque sans visage, il pourrait, sans mot dire, jouer toutes les comédies de Molière… inimitable génie ! » S. Guitry
Deburau Jean-Gaspard Baptiste : 1796-1846
Ce célèbre mime français, né à Kolin en Bohème, renouvellera avec succès l’art de la pantomime française, avec son Pierrot. Il rencontra un immense succès au théâtre des Funambules, boulevard du Temple à Paris.
L’ENFANCE
Son père, après avoir été tisserand puis danseur de corde au « Théâtre des Grands-Danseurs du Roi » de Jean-Baptiste Nicolet, s’engage dans l’armée autrichienne en 1786…
Théâtre Nicolet
Il épouse Katérina Kralova en 1794, puis rejoint les troupes immigrées du prince de Condé, mais le traité de Lunéville marque la fin de la guerre.
Philippe-Germain Deburau, sa femme et leurs 5 enfants, montent une petite troupe de saltimbanques… Jean-Gaspard à 6 ans. Ils quittent la région pour un long périple en Europe…
LES DÉBUTS À PARIS
1814 : La famille s’installe à Paris. Elle propose un spectacle d’acrobaties dans les cours des immeubles : Étienne et Franz, excellent dans l'acrobatie au sol et le main à main, Joséphine Marta, dite la « belle hongroise » et Dorothée, « la perle de la famille », dansent sur un fil ; Jean-Gaspard, jongle avec maladresse...
Il devient le « faire-valoir » de ses frères et soeurs, en tant que paillasse maladroit… Revêtu d'un costume de Gilles, le visage enfariné, il reçoit les soufflets, et les coups de pieds au derrière.
« Son talent s'est révélé bien tard, et au milieu de grandes souffrances. Deburau, battu par son père, sifflé partout, même aux « Chiens-Savants », Deburau, tour a tour Sauteur, Paillasse, Pierrot, Arlequin, et n'arrivant a rien, malgré tous ces efforts…
Mais il sentit renaître son courage, un soir où le désespoir l'avait conduit dans un estaminet de la rue aux Ours; c'était un lieu très fréquenté par les maîtres d'armes, les professeurs de Bâton et de savate, les hommes de lettres et les vaudevillistes de l'époque... »
Le cabaret du Rouge-Gorge
Le coup de pied "chassé-poitrine" de Baptiste sur Avril.
On y parlait beaucoup de théâtre, et les noms de Talma et de Charles Potier, s'échappaient de temps à autre dans un nuage de tabac, au bruit sonore d'un bouchon à bière...
« Ce jour-la, le jeune Deburau comprit la gloire pour la première fois ! Il sentit combien c'était une extraordinaire puissance que cette gloire d'un comédien qui va droit à l'âme d'un maître d'armes, au cœur d'un professeur de Bâton ; le nom de Talma réveilla le génie endormi dans cette âme timide; Jean-Gaspard Deburau sortit de l'estaminet, jurant d'être aussi le premier dans son genre, d'être le Talma du boulevard du Temple, et il a tenu parole, Dieu merci : il est Deburau, comme Talma était Talma ! » Jules Janin
Talma Deburau (J. L. Barrault)
La famille Deburau se forge une solide réputation. Le directeur de théâtre des « Funambules », M. Bertrand, les engage…
1826 : Décès du père ; la famille Deburau se disperse, et la mère de Jean-Gaspard, Katerina disparaît sans laisser de traces…
1829 : Il épouse Louise Eudoxie Boucher. De leur union naîtront trois enfants - les jumeaux Jean-Charles et Etienne-Constant, ainsi que Rosine-Agathe.
DEBURAU - LE SUCCÈS
1829 : Jean Gaspard remplace au pied levé, Blanchard, dit la Corniche, le Pierrot en titre des "Funambules" fraîchement congédié. Il saisit sa chance ; le succès est immédiat !
« Avec quel enthousiasme, les moindres intentions de ce visage de plâtre étaient comprises et applaudies ! Sans grands gestes, sans contorsions, sans efforts apparents… »
« L’art unique de Monsieur Deburau est d’une perfection absolue ! Bien entendu, c’est un simple acteur, mais il mériterait des rétributions royales, un beau carrosse et de nombreuses notices dans les journaux pour devenir célèbre. »
Charles Nodier entraine aux Funambules de jeunes écrivains : Honoré de Balzac, Théophile Gautier et Gérard de Nerval. L’élite de la société parisienne, loue désormais Pierrot dans les salons littéraires. Jean-Gaspard devient célèbre.
« Sur le boulevard du Crime,
Pour voir la pantomime
Ce soir, on se bouscule
Au théâtre des Funambules.
Les malheurs de Pierrot
Sous les cris, les bravos
Font rire dans la tourmente
Le Paris de 1830... » E. Piaf
1832 : Publication de la première biographie sur Deburau, par Jules Janin.
Jules Janin
« Deburau était très charmant, mais craignant pour ses nerfs, il ne permettait pas qu’on lui serve la moindre goutte de champagne. Il paraît que, pour son travail, il a besoin d’un calme absolu ! » George Sand
1835 : Il épouse Marie Trioullier; elle lui donnera 4 enfants. La situation financière de Jean Gaspard – qui ne cesse de jouer – s’améliore.
« L'autre jour, j'entrai dans ce bouge dramatique qui m'avait laissé de si joyeux souvenirs... Le théâtre avait été repeint, il était presque propre, cela m'alarma. Il régnait dans la salle un certain parfum de vaudeville assez nauséabond, il me passa par la tête de vagues appréhensions d'opéra-comique...
Je me préparais à sortir, heureusement la toile, en se levant, mit fin à mon anxiété et me démontra victorieusement qu’aux « Funambules », les saines traditions de l'art y étaient religieusement conservées. »
Nathalie (Maria Casarès) et Baptiste
« Pierrot est triste, il se promène, la tête basse, le pied traînant, une mélancolie secrète dévore son âme. Son coeur est vide, et sa bourse ressemble à son cœur...
Pauvre Pierrot, quelle triste situation : toujours battu, jamais payé, mangeant peu... Pour comble de malheur, Pierrot est amoureux… » T. Gautier
1836 : M. Bertrand, lui propose un contrat permanent avec un revenu stable, et des « primes spéciales ». Sa carrière est à son apogée ; les Parisiens ont fait leur « idole », de ce Pierrot qui leur ressemble tant… Est-ce la raison pour laquelle il refuse une offre lucrative de l'Opéra de Paris ?
« Je ne voudrais pas dire de mal de messieurs les mimes de l’Opéra, qui ont certes, bien leur mérite, mais combien ils sont loin de l’ l’humble savetier « Jacquot » ! »
Mais une tragédie devait le marquer pour toujours…
Le COUP de CANNE « ASSASSIN » de JEAN-GASPARD…
Le 18 avril 1836, Jean-Gaspard Deburau, sa jeune femme, et leurs deux enfants, se promènent en direction des bois de Romainville. Sur la route, ils croisent un patron artisan, sa femme et un jeune ouvrier de quinze ans : Nicolas-Florent Vielin. Ivres, ils interpellent le mime ; les insultes pleuvent ! Jean-Gaspard reste calme, mais lorsque le jeune apprenti le « moque » sur la fidélité de sa femme… Deburau empoigne l’adolescent, et lui fracasse le crâne avec sa Canne à épine !
« Deburau était un terrible artiste dans l’art de manier la Canne, et il ne s’était pas méfier de lui-même... » Théodore de Banville
Deburau à la ville
« … Jean-Gaspard se souvint qu’il savait se servir d’une Canne mieux que Charles Lecour lui-même. Il fit le moulinet avec une verve terrible sur le jeune homme. La femme, eut beau arrêter le bras de son mari, le malheureux tomba, assommé comme un bœuf ; (il était mort, tant le coup avait été donné à la bonne place du crâne.) »
« Auteur de ses pantomimes, ce très habile Bâtonniste, dessinait également les combats pour le théâtre du Cirque. » E. Arago
« … Deburau passa de la colère à l’abattement le plus complet, il put à peine répondre à l’interrogatoire qu’il dut subir.
Le lendemain, ses camarades de scène, ses amis, son directeur, se mobilisèrent pour le soutenir, et signèrent une requête dans laquelle on disait « qu’il devait du nécessairement être attaqué et poussé à bout pour arriver se défendre, et qu’il n’était pas dans la compagnie un homme plus doux et plus rangé que Deburau ; qu’enfin sa moralité, sa bonne conduite, son dévouement à sa femme et à ses enfants excluaient toute idée de crime… »
Ce procès attira l’attention du tout Paris ; il fit grand bruit ! Le public brûlait d’envie, d’entendre parler le mime…
« Après un court séjour à la prison de Sainte Pélagie, il passa en justice ; mais il fut, comme on dit, acquitté avec tous les honneurs de la guerre; Jean-Gaspard Deburau reprit ses représentations aux Funambules, mais ne porta plus jamais de Canne. » E. Arago
DEBURAU – DERNIER ACTE
1846 : Le 7 Février, Deburau se blesse lors d'une répétition ; il tombe accidentellement dans une trappe. Il prend du repos, mais des problèmes respiratoires aggravent son état de santé.
16 juin : Sa dernière pièce sera « Les Noces de Pierrot ». À la fin de la représentation, le public l’ovationne. Avec des gestes las, il remercie le public et retourne en coulisses, la fleur blanche du marié à la boutonnière. Après le spectacle, il rentre chez lui… À trois heures du matin il se meurt.
« … La mort viens de nous ôter Pierrot, l’inimitable Pierrot. Pour une minute encore, écartons ce présent funèbre et imaginons Pierrot vivant… Nous sommes sur le boulevard du Temple. Voyez-vous cette maigre façade, surmontée d’un modeste auvent, éclairée de 4 quinquets, devant laquelle se presse une foule bruyante et compacte ? C’est ici ! Il nous attend, pour la dernière fois. La salle est comble. Quel spectacle ! »
« La cérémonie funèbre, se déroule à l’église Sainte Elisabeth du Temple. Une foule d’admirateurs, composée d’anonymes, d’arlequins, de comédiens, de danseuses, de funambules et autres « intermittents », lui rendent un dernier hommage, avant de l’accompagner au cimetière du Père-Lachaise. »
« Deburau était un grand artiste. Il savait son populaire par cœur ; il possédait tous les métiers : charbonnier, chiffonnier, épicier, marchand d’habits, porteur d’eau, savetier surtout… »
« On a reproché à Jules Janin de ne pas avoir assisté au convoi de Pierrot. On comprend très bien qu’il ne doive pas croire à la mort d’un homme qu’il a immortalisé. Deburau est mort pauvre, comme tous les grands hommes. » Camille D’Arnaud
« Dans saltimbanque,
Il y a sale, il y a thym, il y a banque,
« Dans saltimbanque,
Il y a salin, il y a câlin, il y a calanque,
« Dans saltimbanque,
Il y a doute, il y a manque, il y a croûte,
« Dans saltimbanque,
Il y a route, il y a pas banque, il y a banqueroute,
« Dans saltimbanque,
Il y a thym, il y a laurier, il y a lavande,
« Dans saltimbanque,
Il y a lutin, il y a léger, il y a légende ! »
Henri Tachan
Un jour de novembre 1840, un homme maigre, de noir vêtu, entra dans le cabinet de consultation du docteur Ricard. Le médecin examina attentivement le visiteur intéressant, son vaste front, son visage pâle, ses lèvres minces.
« Vous êtes malade, Monsieur ? »
« Oui, docteur. Mortellement, je crois. »
« Qu’avez-vous ? »
« Je suis triste, mélancolique. Je souffre sans savoir pourquoi. Je me tourmente, j’ai le coeur navré. Je crains les gens et moi-même. Je ne dors pas. »
« Ce n’est pas mortel. Je connais le médicament pour vous » dit le médecin.
« Quel est ce médicament ? »
« C’est le médicament qui va vous guérir de tout cela. Allez au théâtre voir le spectacle de Deburau ! » répondit le docteur.
L’homme pâle s’inclina et dit tristement:
« Je suis Deburau, docteur. » F. Kozik - Le plus grand des pierrots - 1939
Jean-Charles DEBURAU (1829-1873)
Après la mort de son père, Jean-Charles Deburau le remplace aux Funambules. Il perpétue son style, établissant la tradition moderne du mime. Il pratiquait comme Jean-Gaspard, avec maître Lecomte, prévôt de Louis Leboucher.
« Son fils lui a succédé dans le haut emploi de Pierrot aux Funambules ; mais au théâtre comme sur le trône, un grand nom est un lourd fardeau ». E. Arago
« Ce n’est pas qu’il manque de talent ; mais entre n’en pas manquer et en avoir… il y a plus loin que du boulevard du Temple à la place de la Bastille. » F. Mormand
Après diverses entreprises théâtrales en France et à l’étranger au succès mitigé, Jean-Charles Deburau se fixa à Bordeaux où il devint directeur de l’Alcazar en 1872.
LE THÉÂTRE DES FUNAMBULES
« Vous êtes dans un jour d’ennui et vous voulez vous distraire sans fatigue, allez aux Funambules, allez voir Deburau, allez… » J. Janin
« Aux Funambules, il y a mille acteurs en un seul. Or, ces mille acteurs, ces mille visages, ces mille grimaces, ces mille postures, cette tendresse si prompte à commencer et à finir… tout cela n’a qu’un nom et s’appelle Deburau ! » J. Janin
« Au plus fort du tumulte, soudain la toile se lève, Deburau paraît, et aux mille vociférations du public, succède un silence profond et recueilli, presque religieux. Tous les regards sont tournés vers Pierrot… »
Le boulevard du Temple fut baptisé « Boulevard du Crime », en raison des nombreux drames interprétés chaque soir...
Boulevard du Temple à minuit - Daumier
Depuis Louis 16, ce lieu de promenade et de divertissements connaît une grande vogue populaire, autour de ses nombreux cafés et théâtres.
« La seul' prom'nade qu'ait du prix,
La seule dont je suis épris,
La seule où j'm'en donne, où-ce que je ris,
C'est l' boul'vard du Temple à Paris. » Marc-Antoine Desaugier
Le Théâtre des Funambules
Madame Saqui
L'entr'acte au Petit Lazzari
« … Ces milliers de têtes qui se pressent, l’œil fixe et la bouche béante derrière ces balustrades de fer… ces loges ou plutôt ces fourmilières humaines, où s’entasse « cette race particulière aux faubourgs de notre grande ville, intelligente, active, railleuse ; à la fois débile et forte, frivole et terrible; des têtes prématurément dépourvues de la fraicheur de l’enfance… » L’illustration
1806 : La proclamation de « la liberté du Théâtre » et la suppression du régime des privilèges de 1791, sont remis en cause. Le décret du 8 juin, soumet la création de théâtre à autorisation préalable, en vigueur sous l’Ancien Régime.
Placés sous la protection de l’Empereur, 4 grands théâtres seront privilégiés: Théâtre de l’Opéra, ou Académie impériale de musique, le Théâtre Royal de l’Opéra-Comique, le Théâtre-Français ainsi que le Théâtre de L’Impératrice (Odéon).
Théâtre Royal de l'Opéra Comique Théâtre du Vaudeville
Théâtre de la Gaîté
Les théâtres du Vaudeville, des Variétés, de la Gaîté, de l’Ambigu-Comique, restent voués aux spectacles muets… pantomime, ballet, numéros de jongleurs et d’acrobates.
La désaffection des salles officielles, et de leurs ennuyeuses tragédies néoclassiques, s’avère importante; le grand public retourne vers le théâtre de boulevard, celui du Temple et des « Funambules »…
En 1862 la transformation de Paris décidé par Haussmann, sonnera le glas du boulevard du Temple, de ses théâtres et de sa vie artistique.
Le "déménagement" des Théâtres du Bd du Temple